A la fin du quatrième opus de la saga Harry Potter, le jeune héros constate de ses yeux le retour de Lord Voldemort et la réunion autour de lui de quelques mangemorts, dont Lucius Malefoy, qui sont prêts à reprendre le combat. Ce retour s’accompagne de deux symboles qui sont directement liés à la vie du mage noir : la Marque des ténèbres dans le ciel que l’on voit apparaître dès le début du film, et la marque du serpent que chaque mangemort porte sur la face interne du bras et que la baguette de Voldemort fait réapparaître.
Harry Potter et L’ordre du Phenix
Malgré tous ces signes, au début de Harry Potter et l’ordre du phénix, le Ministère de la Magie à la suite de Cornelius Fudge refuse de considérer ce retour comme une chose acquise, accusant Harry et avec lui Dumbledore de folie et d’ambitions politiciennes. Dumbledore voudrait reprendre le poste de Cornelius Fudge à la tête du Ministère de la Magie. Toutes ces accusations sont relayées par la Gazette des sorciers qui est l’image de l’opinion publique manipulée par un pouvoir politique. C’est cet état de fait qui rend nécessaire l’entrée en résistance des héros qui veulent dors et déjà lutter contre Voldemort : un pouvoir d’état existe qui s’oppose à la volonté des personnages de se battre pour le bien.
Dès lors, les adultes qui accompagnent les héros reconstituent un groupe qui existait lors de la précédente guerre contre Voldemort : l’Ordre du Phénix. Le phénix fait bien sûr penser à l’animal de compagnie de Dumbledore qui s’avère être la tête pensante de ce groupe. On y trouve aussi Sirius Black, les parents Weasley, Remus Lupin (le professeur de défense contre les forces du mal du troisième épisode), Maugrey Fol Œil, Severus Rogue et de nouveaux personnages tels que Nymphadora Tonks.
Ce petit groupe se réunit dans le manoir mis à disposition par Sirius Black : ce lieu secret traduit l’inscription du groupe dans un milieu qui lui est hostile : le manoir appartient à la famille Black, une famille de sorciers au sang pur dont seul Sirius Black n’a pas rejoint le camp de Voldemort. Sa cousine, Bellatrix Lestrange incarnée par Helena Bonham Carter, est la seule représentante vivante et l’opposition entre les deux personnages est totale à tel point que l’une tue l’autre à la fin du film. Cette opposition est aussi marquée par le personnage de Kreattur, l’elfe de maison, qui marmonne sans cesse des insultes envers ceux qui occupent sa maison, faisant référence à la philosophie de ses maîtres antérieurs. Dans le livre correspondant, cette hostilité de la maison était renforcée par les tableaux des ancêtres de la maison qui insultaient aussi les héros de l’Ordre du Phénix. Sirius les faisaient recouvrir de tissu. En somme, cette maison semble littéralement encercler de haine les personnages qui veulent lutter contre Voldemort et signifient donc leur position minoritaire et la haine à laquelle ils vont devoir faire face.
Dolores Ombrage la peur
Loin d’être un détail lointain dans la vie de Poudlard, cette confrontation est rendue quotidienne par le personnage de Dolores Ombrage. Sous ses airs de douce petite vieille anglaise, elle est en fait d’un sadisme tout puissant quand il s’agit de faire régner l’ordre et de dompter les jeunes esprits de Poudlard. Elle est envoyée par le Ministère de la Magie pour contrôler Poudlard et donc soustraire l’école à l’influence de Dumbledore. De ce fait, elle bénéficie d’un soutien total pour agir à sa guise. Dans l’histoire, ce personnage est sans cesse ridiculisé, un peu à la manière d’un Charlie Chaplin représentant un mélange d’Hitler et de Mussolini dans son Dictateur. Dolores Ombrage est vêtue de rose et de fourrure mais elle donne comme punition des mots à écrire avec une plume qui inscrit ces mêmes mots dans la chair. Elle multiplie les « décrets » visant à interdire toutes sortes de choses et, au fur et à mesure de l’année, le mur du hall d’entrée se couvre littéralement de ces « décrets » qui s’écroulent sous les assauts des frères jumeaux Weasley qui ont décidés de faire « sauter les verrous ». Son bureau est tapissé de rose avec des assiettes de faïence au mur dans lesquels de petits chats s’inscrivent. Tout cela construit un contraste continuel entre l’image qu’elle veut donner d’elle et ce qu’elle est réellement, un contraste tellement poussé que le personnage en devient ridicule. C’est vrai en particulier quand, pour le bonheur du spectateur, le pouvoir lui échappe : aux moments des B.U.S.E. (examens de fin de cinquième année) mais aussi quand elle rencontre les centaures et qu’elle tente de se faire respecter en invoquant le Ministère de la Magie.
En réaction à cette atmosphère qui règne au château, les héros – Ron et Hermione entraînent Harry dans ce projet – décident de mettre en place un cours alternatif de lutte contre les forces du Mal dont le but est de se préparer à lutter contre Voldemort dont personne, au sein de ce groupe, ne nie le retour. Dolores Ombrage qui doit enseigner cette discipline n’est évidemment pas à la hauteur pour eux puisqu’elle enseigne un savoir théorique là où les héros ont besoin de pratique. Il s’agit d’une véritable société secrète nommée « l’armée de Dumbledore » dont Harry est le meneur puisque c’est lui qui a rencontré le plus de fois des situations périlleuses qui l’ont obligé à faire son apprentissage plus vite. On constate qu’une fois de plus ce n’est pas Harry le chef de cette résistance mais bien Dumbledore. Mais pour ce groupe, il faut aussi un lieu secret où ils pourront se soustraire à Dolores Ombrage : la « salle sur demande » apparaît au moment opportun devant Neville qui cherche une salle pour le groupe. Poudlard est un endroit mouvant, ce qui offre bien des facilités pour l’écriture de l’histoire ! D’autant que cette salle a la particularité de contenir tout ce qu’on a besoin, comme par exemple un faux ennemi muni d’une baguette qu’il faudrait désarmer… Ainsi, les membres de l’armée de Dumbledore ont leur « maquis » à eux.
Dans ce film, on peut en effet faire de véritables parallèles avec la Seconde Guerre Mondiale qui a atteint en particulier l’Europe et notamment la Grande Bretagne. D’abord, cette guerre qui se prépare est en fait le retour d’une guerre qui a déjà eu lieu et à laquelle la confrontation entre Voldemort et Harry a mis temporairement un terme. La Seconde Guerre Mondiale est bien aussi la continuation de la première. En conséquence, le groupe de l’Ordre du phénix qui existait lors de la première guerre se réactive, avec les membres toujours vivants, pour affronter la deuxième. Et on voit précisément par une photo de cette époque les membres du groupe qui ont survécu, ceux qui ont péri et de quelle manière.
L’opposition entre les deux camps est fondée sur une opposition que l’on retrouve entre les fondateurs de l’école de Poudlard : faire accéder à la magie ou non les « sangs-de-bourbes » (enfant sorcier né de parents moldus comme Hermione), ou seulement les « sangs pur ». Comment ne pas penser au racisme qui animait les nazis et ont provoqué le génocide que l’on connaît ? Tout comme les nazis qui voulaient exterminer les juifs, Salazar Serpentard et ses successeurs veulent au moins éliminer les « sangs-de-bourbe » de Poudlard, voire les éliminer tout court. Hermione est le personnage qui fait ressortir cette dimension : quand Drago Malefoy utilise ce terme pour nomme Hermione, on voit toute la haine qu’il y met.
D’autres indices aussi complètent ce parallèle. Quand on entre dans la hall du Ministère de la Magie, on voit une image grand format de Cornélius Fudge et cela rappelle le culte de la personnalité qui accompagne souvent le pouvoir des dictateurs (Hitler, Mussolini mais aussi Staline). La soumission du médium aussi : La Gazette des sorciers n’est pas un pouvoir indépendant mais relaie manifestement les opinions du ministre. Et l’audience de Harry au début du film : il risque d’être sanctionné très sévèrement (renvoi de Poudlard) pour un motif ridicule (il a utilisé la magie pour se défendre ainsi que Dursley de détraqueurs), d’autant qu’il est sous-entendu par Dumbledore qu’il s’agirait d’une manipulation du ministère. D’autre part, l’heure de l’audience est avancée au dernier moment pour que Harry soit seul et ne puisse pas se défendre. Tout cela ne correspond pas à l’idée que l’on se fait d’une justice équitable et s’approche plus des méthodes utilisées par les dictateurs du XXème siècle pour éliminer leurs opposants dans des procès factices (par exemple les grands procès de Staline).
D’autres détails dans le film font penser à un état d’ « ordre moral » qui trouve principalement des échos dans l’histoire des religions. En effet, Dolores Ombrage est nommée « grande inquisitrice » à la tête de la brigade inquisitoriale dans laquelle on trouve notamment Drago Malefoy et dont le rôle est d’espionner tous ceux qui ont un comportement suspect. Si on retrouve encore une fois des comportements qui ont existé lors de la Seconde Guerre Mondiale (la collaboration), le vocabulaire utilisé est religieux. De même, Dolores Ombrage passant dans les couloirs, écarte d’un coup de baguette magique les amoureux trop collés et fait là preuve de pudibonderie, un peu comme une catholique qui réprouverait le sexe avant le mariage. Tout cela fait référence dans l’histoire à l’Inquisition qui avait pour tâche de conformer les esprits à la pensée dominante, allant jusqu’à utiliser la torture (la plume à retenue) et la peine de mort pour les plus réfractaires.
Mais cette idée d’ « ordre moral » se trouve aussi dans l’opposition entre le Bien et le Mal qui trouve écho dans l’histoire récente dans les discours de certains dirigeants comme Georges Bush dans le cadre d’une guerre contre le terrorisme, le Bien étant la justice occidentale et le Mal, les attaques des terroristes. Mais le parallèle s’arrête à cette opposition de discours qui ne reprend finalement que des représentations elles-mêmes religieuses tant la religion a influé et permet encore de comprendre beaucoup d’événements dans le monde.
Cette représentation de la résistance dans Harry Potter et l’ordre du phénix n’est possible que parce qu’il y a concomitance temporaire entre les volontés du Ministère de la Magie et des mangemorts avec Lord Voldemort, qui s’oppose ainsi tous deux au groupe de résistants (l’Ordre du phénix et l’armée de Dumbledore). Car la résistance suppose un pouvoir d’état qui contrôle tout, et Lord Voldemort et ses partisans n’ont pas ce pouvoir. Dès que Cornelius Fudge constate de ses yeux le retour du mage noir, cet état de fait cesse d’exister et on entre alors dans une configuration narrative différente qui augure du sixième opus.
Le cinquième épisode naît avec cette crainte du ministère de voir le retour du Mal et finit avec ce constat inévitable : le retour de la guerre contre le Mal. Entre les deux se construit une certaine représentation de la résistance dans le monde magique.